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Le secteur de la santé au Togo est comateux. Ce n’est d’ailleurs un secret pour personne. Les centres de santé publics surtout sont devenus aujourd’hui des mouroirs à cause du manque criard de matériels et même de personnel soignant. La contractualisation introduite dans la gestion de ces centres par le gouvernement n’a pas donné de résultat probant, tellement certains individus ont fait de certains centres leurs propriétés privées, en y instaurant une gestion mafieuse. Le Centre hospitalier régional (CHR) Tsévié, dans la préfecture du Zio, n’échappe pas à cette prédation. Une oligarchie, selon les informations rapportées par le personnel de ce centre, a pris en otage le CHR depuis quelques années, au point de laisser sur le carreau les techniciens supérieurs qui travaillent d’arrache-pied pour le relever.

Comme dans la plupart des centres hospitaliers publics du Togo, le personnel du CHR de Tsévié travaille dans des conditions exécrables. En plus de matériels dont ils ne disposent pas pour faire correctement leur travail, les agents perçoivent des salaires de misère et sont presque privés des avantages auxquels ils ont d’ailleurs droit. Mais parallèlement, les administrateurs de l’hôpital se la coulent douce en s’octroyant des primes et avantages à couper le souffle. Par exemple en septembre 2021, dans leur recherche à comprendre ce qui ne va pas dans cet hôpital, malgré les recettes qu’il fait, le personnel soignant, notamment les surveillants de service, ont découvert que les administrateurs se sont octroyé des primes, sans informer la hiérarchie. Alors qu’ils en ont déjà de l’administration publique. Des primes dont ils ne permettent pas aux techniciens de bénéficier, eux-mêmes étant insatisfaits de ce qu’ils perçoivent indûment déjà. Et lorsque le Conseil d’administration est mis au courant de ces primes indues, ces administrateurs ont tout fait pour réunir ce Conseil un Samedi. Le Conseil d’administration, on ne sait pas ce qui s’était passé, n’est plus revenu sur cette affaire dont la clarification est plus que nécessaire pour comprendre comment sont utilisées les recettes de l’hôpital.

Agents du budget autonome et agents du budget général

Ils font le même travail, mais ne sont pas traités de la même manière. Nombreux sont ces soignants qui ne sont pas déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et vivent des conditions indécentes. Cette catégorie de personnel est sur le budget autonome de l’hôpital. Ils ne bénéficient presque d’aucun avantage, contrairement aux agents de budget général qui sont bien payés et ont d’autres avantages. Les revendications des délégués du personnel, membres du Syndicats national des praticiens hospitaliers (SYNPHOT) sont restées sans suite devant cette situation.

Même les 20 et 30 000F CFA issus des revendications du syndicat, que le gouvernement a finalement décidé de reverser aux fonctionnaires et dont bénéficient les agents de la fonction publique, ne sont pas versés à ces agents du CHR Tsévié. Il a fallu une lutte acharnée pour que le 2 décembre 2021, l’hôpital décide de leur payer ces montants. Nonobstant cela, il y a aussi des ristournes qui devraient être versées aux agents, ce qui n’a pas été fait. Une campagne de désinformation et de dénigrement a été lancée par l’administration de l’hôpital qui a distillé au sein du personnel que les délégués ont tronqué le paiement des ristournes contre celui des 20 et 30 000 F CFA Heureusement, un travail titanesque a été entrepris à l’hôpital par les délégués pour expliquer au personnel ce qu’il en est exactement, ce qui a permis de déconstruire cette manipulation.

En janvier 2022, l’administration a décidé de payer les ristournes, mais avec des retenues sur l’argent qui devrait normalement être versé. Pour elle, c’est ce que les agents méritent. Une situation qui a interpellé les délégués. Ces derniers ont demandé un calcul des ristournes, connaissant les recettes que fait l’hôpital. Ils ont passé, avec l’administration, quarante (40) jours à calculer ces ristournes. Des séances qui n’ont pas du tout été très faciles pour les délégués, puisque ceux qui tiennent les rênes de l’administration du CHR Tsévié ne voulaient pas libérer certains documents qui permettaient de voir clair dans la gestion des recettes et donc de faire un bon calcul des ristournes.

Des malversations dans la gestion de l’hôpital

Au CHR de Tsévié, l’administration entoure la gestion d’une opacité qui ne dit pas son nom. La preuve est le refus, surtout du Directeur administratif et financier (DAF), Djobo Suru, de mettre à la disposition des délégués des documents qui rendent compte de la gestion de ce centre hospitalier. A en croire les délégués, il n’y a jamais eu de conformité entre les reçus délivrés par les surveillants de service et les recettes présentées par l’administration. Les recettes sont en deçà des reçus délivrés. Il y a une magouille qui est bien organisée dans cet hôpital qui ne dispose même pas de compresse aujourd’hui, selon les délégués. Le service radio du CHR est en panne depuis quelques mois.

Selon nos informations, l’argent issu des recettes de l’hôpital prend plusieurs circuits. Un logiciel a même été créé pour ça. Parmi le personnel, ceux qui ont demandé des clarifications sur la situation ont été mis de côté et remplacés par des gens qui n’ont aucune expérience ni compétence. Il a fallu un sit-in du personnel pour qu’à l’issue de onze (11) jours de travaux, on fasse la mise à jour du fichier du personnel. Aujourd’hui, les délégués demandent en vain l’audit du logiciel en question. Devant le refus de l’administration d’obtempérer, le syndicat (point focal du SYNPHOT) a décidé un sit-in. Mais l’administration sort le nouveau décret sur l’organisation des droits de grève au sein des syndicats pour l’en dissuader.

Une assemblée générale a été organisée par le personnel de l’hôpital le vendredi 8 juillet dernier en présence des membres du Bureau national du Syndicat national des praticiens hospitaliers du Togo (SYNPHOT), avec à leur tête le Secrétaire Général, Dr Gilbert Tsolenyanu. « J’en ai connu beaucoup, qui étaient des DPS, des directeurs d’hôpitaux, des responsables de services qui, du haut de leur siège, pensaient qu’ils étaient devenus des dieux sur terre. Aujourd’hui, vous les voyez, ils rasent les murs. Camarades, rien n’est éternel. Si des gens pensent qu’en traitant leurs semblables, des humains, ils se font du tort, c’est qu’ils n’ont rien compris (…) Nous devons faire en sorte que les positions que nous occupons concourent au bien-être des gens », a-t-il indiqué.

Il a ensuite invité ses camarades à procéder à un inventaire de matériels que chaque agent responsable a dans son service. « On enverra cet inventaire au ministère et dans les centres concernés. Il y aura un moratoire pour que les hôpitaux se conforment à acheter de nouveaux matériels. Si les hôpitaux ne se conforment pas, si un problème arrive, aucun agent de santé ne sera tenu pour responsable. Parce qu’on ne peut plus continuer comme ça. Nos blocs opératoires sont sous-équipés, mais quand il y a un décès, c’est le chirurgien qu’on interpelle, c’est l’anesthésiste, c’est l’infirmier de bloc qu’on interpelle. On ne se rend pas compte de l’état du bloc opératoire », a souligné Dr Gilbert Tsolenyanu qui a rappelé les événements douloureux de Wétrivi-Condji où une femme, faute de table d’accouchement digne de ce nom, est tombée au moment où elle était en travail. Cette femme était malheureusement décédée à la suite de son évacuation au CHU Sylvanus Olympio, le plus grand centre hospitalier du Togo qui manque de tout.

Le mal est profond, a-t-il poursuivi au cours de cette assemblée générale dans laquelle le personnel du CHR de Tsévié a réitéré ses revendications, notamment le départ de Monsieur Djobo Suru (le DAF au centre des malversations financières dans ce centre), l’audit des logiciels du service de la caisse afin de situer les responsabilités dans le détournement des recettes, l’intégration des surveillants de service au réseau d’ordinateurs des admissions et de la caisse, l’établissement de la situation des dépenses exercice 2021 afin de déterminer les responsabilités par rapport à l’état de « caisses vides » constaté en fin d’année 2021. Le personnel réclame en outre la mise à sa disposition de l’état de dépenses des trois (03) derniers travaux de réhabilitation et d’équipement de domicile de fonction de la Directrice Générale, la liste des fournisseurs du centre exercice 2021 et 2022, l’attribution des sièges aux délégués du personnel aux Comités de passation de marché et de trésorerie, le rétablissement du réseau Wifi dans tout le centre…

Dans un passé récent, chaque service au CHR de Tsévié publie les recettes à la fin de chaque mois. Aujourd’hui, cela ne se fait plus, parce que certains ont décidé d’entourer le centre de magouilles. Dans ce centre, des gens sont fournisseurs et administrateurs en même temps. Ce qui les amène à écarter les délégués du comité de passation des marchés et de donner libre court à leurs magouilles. « Aujourd’hui, plus d’une vingtaine d’agents attendent les copies du contrat signé depuis le début de l’année. Quand ils sont partis aux informations, l’administration a indiqué que c’est le contrôleur qui fait obstruction. Si les contrats ne sont pas renouvelés, par quels arguments juridiques il valide les États des salaires de ces agents ? Nous courrons vers la catastrophe, le renouvellement des contrats au CHR de Tsevie est devenu une véritable scène d’arnaque, de duperie et d’harcèlement. Le prélèvement des cotisations de la CNSS aux agents pour leur faire croire qu’ils sont immatriculés… », a confié un des délégués très remonté.

Selon nos investigations, le sieur Djobo Suru, très critiqué par les délégués du personnel dans sa gestion malsaine des finances de l’hôpital, est un récidiviste qui a déjà fait parler de lui au CHR Sokodé et au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sylvanus Olympio de Lomé. Mais lorsque le personnel se plaint de sa gestion, il reçoit le soutien du préfet du Zio qui le fait passer pour un homme intègre.

Le Centre hospitalier régional (CHR) de Tsévié manque de tout. Cela ne devrait pas être ainsi, vu les recettes qu’il génère. Mais une oligarchie s’empare de ces recettes et les utilise comme bon lui semble, laissant le centre et le personnel soignant dans un dénuement total. C’est ce que dénoncent les délégués qui interpellent les autorités sanitaires et, au-delà, tout le gouvernement.

Source : L’Alternative / Presse-Alternative.info